Eric, Jacques, Luc, Pascal et Patrick ont fait leur première mission avec SOS-Ouman. Voici leurs impressions.

A la frontière polono-ukrainienne.

Dépassant les longues files de camions, des dizaines de jeunes soldats ukrainiens entrent en Pologne le sac sur l’épaule. Ils vont s’entraîner dans des pays alliés à manier des armements fournis à l’Ukraine. Silencieux, le visage sans expression.

Des plaines sans fin. Une terre noire et riche. Des champs interminables. Parfois une ferme en bois, sortie d’un autre âge. Partout les clochers à bulbe des églises, repeints à neuf, les coupoles travaillées à la feuille d’or. Le long des grand-routes, dont le bon état nous surprend, des stations-service rutilantes, éclairées comme en plein jour. Au début de l’invasion, les missiles russes les ont visées pour priver les Ukrainiens de carburant.

Dans les faubourgs des premières villes que nous traversons, le trafic est dense, la vie semble normale. Nous n’avons pas l’impression d’un pays en guerre.

Et puis survient le premier cimetière, où de grands drapeaux flottent sur des tombes fraîches, couvertes de fleurs avec les photos des morts en uniforme.

Des cimetières, nous en verront beaucoup dans cette nuit de Toussaint avec des milliers et des milliers de bougies posées sur les tombes.

Des photos de soldats disparus, nous en verront partout au cours du voyage.

A Ouman, affichées en rangs serrés sur l’avenue de l’Ordre des Héros.

A Kiyv, sur l’immense place Maïdan où des dizaines de milliers d’Ukrainiens ont manifesté pendant des mois en 2013 et 2014 leur volonté de se rapprocher de l’Union européenne et pas de la Russie. Dans la foulée, la guerre éclatait dans le Donbass et Poutine annexait la Crimée.

A Myropil, le village d’Hanna, où ces photos encadrent un mémorial édifié devant le cimetière.

Arrivés à Ouman, nous déchargeons les fourgons, aidés par des dizaines de volontaires. Dont Oleg, un solide gaillard de 14 ans qui nous dit qu’il veut s’engager mais que sa mère s’y oppose. « Ça fait peur et ça rend triste, dit Luc. Pour lui c’est un projet de vie ! ».

Denys, 18 ans, n’a pas le même enthousiasme. Il est revenu à Kiev pour étudier après s’être réfugié en France. S’il est appelé, il ira bien sûr. Son père, combattant de la première heure, récupère à l’hôpital, après une troisième blessure.

A Myropil, Igor, un mécanicien de 38 ans, claudique sur une méchante prothèse. Il a perdu une jambe à Bakhmout, théâtre de la plus longue et la plus meurtrière des batailles à ce jour. Les médecins militaires lui disent qu’ils ne peuvent pas plus pour lui, les soldats sous contrat sont prioritaires et mieux soignés. Mais il ne regrette pas de s’être porté volontaire dès 2014. « Je ne suis pas parti à la guerre pour l’Ukraine, mais pour protéger mes proches, ma famille, ma maison », dit-il.

Sur la grand place d’Ouman, devant un véhicule militaire criblé de balles, Valentina et Victoria de l’organisation Razom (Ensemble) recueillent des dons pour les soldats de la ville. Ali, 42 ans, un Tatar de Crimée à la longue barbiche, leur rend visite en uniforme dans le local où s’entassent les cartons de vivres, de médicaments et de vêtements chauds. Sa famille s’est réfugiée à Ouman et il est en permission pour la naissance de sa fille.

Dans la pièce voisine, d’autres femmes dont les maris sont au front fabriquent des filets de camouflage et des gilets pour les snipers. La mairie d’Ouman affiche sur son site une photo de collégiens initiés à la fabrication de camouflage.


« On sent qu’ils ont tous un objectif commun, dit Eric. Tout s’organise autour de la libération de l’Ukraine. Ça leur donne une énergie incroyable ».


Les écoles sont désormais toutes doublées d’abris sous-terrain, où les classes continuent pendant les alertes. Lancées sur un compte Telegram, les alertes sont relayées par des sirènes.


Nous avons entendu les sirènes la nuit comme de jour. Mais lors de notre passage à Kiyv, nous sommes surpris par l’absence de réaction aux alertes.


C’est sans doute que l’OTAN peut avertir l’Ukraine que des missiles ont été tirés depuis la mer Noire ou que des bombardiers ont décollé de Russie mais pas des objectifs visés.

A Myropil, nous sommes reçus comme des rois. Hanna nous a logés chez ses parents, sa grand-mère, sa tante dont le fils est au front. Après un banquet, son père avec sa guitare nous chante d’une voix sûre des chansons françaises, Hanna des chansons ukraniennes. « Il a de très belles chansons russes, dit-elle. Mais je ne veux plus les chanter ».


Cette soirée à Myropil, l’accueil chaleureux à Ouman, où des élèves ont répété pendant des semaines pour nous offrir une représentation époustouflante sur le thème de l’amitié franco-ukrainienne -chant, danse, récitation de Baudelaire et saynètes du Roman de Renard- nous ont montré l’importance de notre présence.


Nos fourgons paraissent bien petits dans ce pays immense mais au-delà de l’aide matérielle de l’association, qui ne cesse d’augmenter, nous avons senti que notre présence comptait. « C’est le point crucial de cette histoire », résume Pascal.

PMR