«Spasibo bol’shoye» : les chaleureux remerciements exprimés le 19 août par Iryna Pletnyova, la maire d’Ouman, vous reviennent de plein droit. Votre générosité a contribué à apaiser, à soulager, voire à sauver des vies.

Pour mener à bien cette deuxième expédition, nous avons traversé huit pays en huit jours, et parcouru quelque 7.000 km.

Aux confins de la Slovaquie et de la Moldavie, côté ukrainien, les routes sont difficilement carrossables et la signalisation parfois défaillante voire tout bonnement occultée, dans le but d’égarer l’ennemi.

En chemin, nous avons fait de nouveau escale à Khotyn, dans le massif des Carpates. Le couple de retraités russes qui nous logent racontent avoir coupé les ponts avec leur famille restée au pays. « Ils ne veulent pas croire en l’invasion. Ils prétendent que nous allons être libérés ».

Jusqu’à preuve du contraire, il demeure possible de circuler dans les régions éloignées des combats.

Finalement, l’aspect le plus problématique aura été la recherche d’un fourgon. Elle a duré au point de retarder de plus d’un mois notre départ. La solution est venue d’une compagnie de théâtre amateur de la Drôme, qui venait de baisser le rideau.

Cette fois encore, la cargaison comportait de nombreux médicaments, des équipements de premiers secours, garrots, accessoires de perfusion/transfusion, des masques respiratoires, compresses, mais aussi des tensiomètres, glucomètres. L’essentiel du matériel médical a été acheté au meilleur prix, ou offert. Les produits d’hygiène, la nourriture et les vêtements provenaient pour une bonne part de collectes effectuées cet été à Rognes , Boulogne-Billancourt et Romilly-sur-Seine.

A trois mois d’intervalle, Nicolas et moi avons pu mesurer l’évolution du conflit. Il fait désormais surtout rage dans l’est et le sud-est du pays, à Kharkiv, Louhansk, Donetsk, Kherson, ou encore Marioupol pris sous un déluge de tirs d’obus et de missiles. Cependant, des bombardements ciblent parfois la capitale Kiev, le port d’Odessa, et ponctuellement d’autres localités disséminés à travers tout le pays.

D’innombrables placards publicitaires appellent à la mobilisation et à l’union sacrée contre «l’agression» le long des axes routiers et aux abords des villes. Les Ukrainiens affichent une détermination que ni le temps ni Vladimir Poutine ne sauraient éroder. «Bienvenus en enfer» promet l’un des slogans aux envahisseurs. «Un jour, tout ira mieux» avance un autre.

Le nombre des barrages filtrants a diminué, les remparts de sacs de sable ont disparu devant quantité d’édifices publics. Les villes sont plus animées, en dehors des périodes de couvre-feu, et la circulation automobile a légèrement augmenté. Et pour cause: les stations services ont été réapprovisionnées. Début mai, la plupart étaient fermées du fait des frappes contre les principales raffineries et dépôts de carburants.

Régulièrement, on croise des véhicules militaires montant drapeau au vent vers le front, isolés ou en convois.

Peut-on pour autant évoquer un semblant d’embellie, quand autant de civils et de combattants meurent au quotidien, que de nouveaux réfugiés sont chaque jour jetés sur les routes, que les prix et les pénuries flambent, qu’enfle la crainte d’une catastrophe à la centrale nucléaire de Zaporijia visée par des tirs.

Si l’on excepte un raid contre un dépôt de munitions, aux premiers jours de l’offensive russe, Ouman n’a pas été directement frappée. Contrairement à la ville voisine de Vinnytsia, qui se croyait à l’abri. Le 14 juillet, des missiles tirés à partir d’un navire en mer Noire ont pulvérisé un quartier commerçant, faisant officiellement 23 morts et une centaine de blessés. A Moscou, les généraux affirment avoir éliminé les participants à une réunion secrète entre représentants des forces armées ukrainiennes et fournisseurs d’armes. A Kiev, on assure que les victimes sont des malchanceux présents le mauvais jour au mauvais endroit.

A notre arrivée à Ouman, le 18 août, le hurlement des sirènes antiaériennes couvrait les bruits de la cité, sans inquiéter outre mesure les passants.

La maire d’Ouman a organisé une réception en notre honneur tandis que le médecin-chef de l’hôpital central a participé aux côtés d’infirmières au déchargement du fourgon. Le contact est précieux: Alexandre Maksytov propose de fournir une liste actualisée de ses besoins les plus pressants, pour la suite. En attendant, il présente fièrement l’appareil de radiographie et le bloc opératoire dernier cri, reçus de l’étranger. L’assistance est visiblement conséquente, mais les manques demeurent considérables, insiste-t-il. Pour illustrer son propos, il ouvre une double porte de séparation, au fond d’un couloir, qui débouche sur une enfilade de pièces vétustes évoquant l’ère soviétique. La guerre a brutalement interrompu les travaux de modernisation.

David et Olga, nos référents et amis pharmaciens, restent ô combien demandeurs. Ils continuent d’animer avec un incroyable dévouement leur réseau de volontaires.

Olga, qui travaille désormais au sein de la mairie, est bien placé pour mesurer l’ampleur des défis. Les orphelins sont les plus traumatisés et réclament le plus d’attentions. Particulièrement ceux qui ont séjourné de façon prolongée sous terre. Elle a pour tâche de veiller à leur mieux-être et à la sécurité des écoles. Chaque établissement a pour obligation d’aménager des abris en sous-sol, fournis en eau potable et disposant d’un système d’aération. Certains ont hérité de véritables bunkers datant de la guerre froide, qu’il suffit de restaurer. Les autres doivent impérativement réaliser des travaux conséquents. A défaut, il leur sera interdit d’accueillir les élèves à la rentrée.

D’évidence, à Ouman comme ailleurs en Ukraine, on se prépare à une guerre aussi longue qu’impitoyable.

DH