Le tableau représente le président Zelinsky à dos de cheval terrassant de son trident le dragon russe! Il figurait en bonne place au musée-église de l’assomption de la vierge marie, lors de notre dernière mission à Ouman, début avril. Force était cependant de relever que la vision allégorique de Viktor Lysynyuk, un obscur artiste local, était loin de refléter l’état d’esprit prédominant dans le pays. Rares étaient en effet les Ukrainiens qui pariaient sur la victoire au sortir de l’hiver.
Nos interlocuteurs dressaient plutôt l’amer constat suivant: Sur tous les fronts -militaire, diplomatique, économique- le fardeau de la guerre était de plus en plus lourd à porter. Face à l’effroyable hécatombe, la majorité des Ukrainiens aspiraient ouvertement à une paix négociée. Pas à n’importe quel prix cependant. Ils rejetaient l’idée d’une paix bradée à leurs dépens par le président Trump et demeuraient convaincus que le président Poutine n’avait aucunement l’intention de déposer les armes.
Dans ce sombre contexte la livraison en deux temps de notre nouvelle cargaison humanitaire a été accueillie comme une bouffée d’oxygène. Un poids-lourd en provenance de Romilly-sur-Seine a livré 5,3 tonnes de matériel pour blocs opératoires à la fin mars. Nos sept fourgons venus du nord et du sud de Loire ont débarqué une dizaine de tonnes supplémentaires, le 4 avril. Les colis étaient destinés aux blessés, aux réfugiés aux nécessiteux des villages proches du front. Outre quantité de médicaments, ils renfermaient des équipements de premiers soins, des fauteuils roulants, béquilles, mais aussi des ordinateurs, des habits, des produits d’hygiène, des couvertures. Et même un lot de draps, offert par un industriel albanais.
Une petite armée de volontaires disséminés dans nos six bases régionales a amassé cette récolte auprès de bienfaiteurs déterminés « à ne pas laisser tomber l’Ukraine ». Ont également contribué des partenaires tels l’Association des sauveteurs secouristes du pays d’Aix et Sud-Lubéron Solidarités. Pour l’acheminer, il nous a fallu compenser l’absence de piliers temporairement malades ou indisponibles. Cinq des quatorze conducteurs effectuaient leur première expédition en Ukraine à l’occasion de notre 9ème convoi.
Iryna Pletnyova, la maire d’Ouman s’est montrée comme à l’accoutumée chaleureuse. « Tout le monde est fatigué. Tout le monde souhaite la paix. En attendant, la situation se détériore et il est important pour nous de constater que nous ne sommes pas seuls, que nous sommes soutenus », a-t-elle assuré. Yvan Khoptyanïï, le directeur de l’hôpital, a pour sa part relevé que son établissement disposait grâce à nous de stocks pour un an dans certains domaines comme celui des blouses, gants, champs opératoires…..
Reste qu’à chaque étape de notre visite, il nous a été une nouvelle fois donné de mesurer l’ampleur des dommages et des besoins humains et matériels.
Au cimetière municipal, le carré des héros n’en finit pas de s’étaler. «Il est rare qu’une semaine ne s’écoule sans enterrement», a relevé Iryna. Et d’ajouter ce détail macabre. « On enterre prioritairement les corps reconnaissables ». Il y a par ailleurs des disparus, et il faut parfois attendre longtemps les résultats de tests ADN avant d’être en mesure d’inhumer « une simple boîte contenant quelques restes ». Dans les travées plantées de drapeaux, une babouchka pleure silencieusement devant la tombe de son fils unique, décédé voici plus d’un an à l’âge de 45 ans. Elle emprunte le bus plusieurs fois par semaine pour se rendre sur sa tombe. « Comment un homme peut décider à lui tut seul d’une telle catastrophe? » demande-t-elle en secouant la tête. C’est à Vladimir Poutine qu’elle fait référence.
La situation des réfugiés demeure quant à elle préoccupante. Avant le conflit, Ouman comptait environ 90.000 habitants. Le nombre des « déplacés de l’intérieur » établis dans la ville-carrefour s’élevait à 15.000 en fin d’année dernière. « Chaque village qui tombe aux mains des russes génère un nouvel afflux», raconte Galina, chargée au sein de l’équipe municipale de loger, nourrir, vêtir ce surcroit de population. Elle chiffre à une quarantaine les nouveaux venus en provenance du Donbass où les combats font rage, ces derniers mois.
Selon un rituel désormais bien établi, nous avons rendu visite au principal camp de réfugiés établi dans une ancienne base de missiles soviétiques, à l’extérieur d’Ouman. Nous y avons retrouvé Ludmilla, la pétillante institutrice de Kherson friande de films d’amour à qui nous avions offert un téléviseur, un an auparavant. La septuagénaire a l’esprit toujours aussi vif, mais elle passe de plus en plus de temps alitée. La chambrée qu’elle partage avec quatre autres rescapées de sa ville natale est située au deuxième étage. Et l’escalier lui est interdit. Avec aplomb, elle renouvelle son invitation à lui rendre visite, « une fois la guerre finie et sa maison reconstruite ».
Ouman a beau être une ville de l’arrière, la guerre est présente dans tous les esprits. Nous avons assisté à la minute de silence qui plonge la ville dans le recueillement, chaque jour, à 09H00 précises. Une soixantaine de civils s’est figée comme au garde à vous, tête baissée, sur le vaste parvis de l’hôtel de ville. Une caisse claire égrenne les secondes avant que ne retentissent les premiers accords de l’hymne national, diffusé par hauts-parleurs. Le traditionnel cri de ralliement «Gloire à l’Ukraine» auquel la petite foule répond «Gloire aux héros» donne le signal de la dispersion. Seuls restent paresseusement allongés au soleil trois chiens errants. Abandonnés par leurs maîtres en fuite, ces animaux posent un problème de plus en plus délicat à gérer, explique notre ami Vadim. Pas question pour autant de les éradiquer. Ils sont systématiquement stérilisés et bagués à l’oreille.
La guerre parfois se fait plus proche. La plupart des villes subissent de temps à autres des frappes russes, qui visent à entretenir un climat de terreur. Le vendredi 4 avril à l’heure du dîner, les sirènes d’alerte ont retenti à Ouman. Elles signalaient le survol d’un missile de croisière qui s’est abattu 300km plus à l’est, à Kryvy Rih. Bilan: 18 morts et 72 blessés dont de nombreux enfants.
La nuit suivante a été plus agitée. Au gémissement des sirènes s’est ajouté le ronronnement caractéristique des moteurs à deux temps de drones iraniens (les Shahed dérisoirement rebaptisés « mobylettes » par les Ukrainiens). Puis les coups sourds des tirs de batteries anti-aériennes se sont fait entendre. Aucune perte n’a été signalée.
Comme pour mieux attester l’esprit de résistance locale, l’immeuble du centre-ville éventré par un missile en avril 2023 a été reconstruit en moins de deux ans. Vingt-trois personnes dont six enfants avaient été tuées dans leur sommeil.
Notre séjour a comporté plusieurs rencontres marquantes. Certains d’entre nous se sont entretenus avec un prêtre orthodoxe représentant la branche de l’église orthodoxe qui a rompu avec le patriarcat de Moscou inféodé au régime de Poutine. D’autres ont discuté avec des psychologues chargés d’aider les enfants traumatisés par le conflit, ainsi qu’avec des artistes-peintres locaux influencés par la guerre. A l’instar de Viktor auteur de la représentation épique du président et du dragon.
En chemin, nous avons constaté la multiplication des affiches de propagande invitant les volontaires à rejoindre les unités qui combattent l’ennemi à l’aide de drones. Cette arme, devenue la plus létale du conflit, traverse souvent le ciel des dessins d’enfants. Nous avons récolté une centaine d’oeuvres de ces artistes en herbe à Jytomyr et Ouman. Témoignages poignants sur les horreurs de la guerre et les espoirs d’un retour à la paix, elle seront bientôt au coeur d’une exposition montée par SOS-Ouman.
DH