Le 14 février, soit très exactement dix jours avant le premier anniversaire de l’invasion russe, nous avons livré près de six tonnes d’aide humanitaire à Ouman.

Il s’agissait de la cargaison la plus importante à l’occasion de notre quatrième expédition sur place. Cette fois, notre convoi comptait cinq fourgons, et huit conducteurs. Il transportait des dizaines de générateurs et convertisseurs électrique, des lampes rechargeables à l’aide d’une manivelle, quantité de médicaments, d’équipements de première urgence, des vêtements chauds, des vivres, quelques jouets….

Six tonnes, c’est d’évidence peu au regard des besoins considérables et des souffrances indicibles provoquées par cette guerre. Pareil soutien n’en constitue pas moins une source tangible de réconfort matériel et moral.

D’autant que l’aide demeure relativement chiche, et épisodique, à entendre Iryna Pletnyova, la maire de la ville qui a vu sa population de quelque 90.000 habitants croître de quelque 20% du fait de l’afflux massif de « réfugiés de l’intérieur ». Près de 4.000 d’entre eux sont des enfants.

A peine déchargée, la cargaison a pris trois directions: les centres sociaux de quartiers ouverts aux personnes déplacées; l’hôpital engorgé de malades et de blessés civils et militaires; les villes et villages où des irréductibles tentent de survivre sous les bombes. Ceux-là, disent n’avoir nulle part où aller. Leur ravitaillement est assuré par des volontaires, au péril de leur vie, dans un rayon de plus de 300 kilomètres.

Le fret cette fois encore résultait de dons individuels et de collectes. L’élan de générosité ne faiblit pas en région parisienne, à Rognes et dans le pays d’Aix, à Romilly-sur-Seine (jumelée avec Ouman), dans le Haut Var, à Aups, ou encore dans la région de Lille.

SOS-Ouman a sensiblement accru son champ d’action et le nombre de ses contributeurs au fil des mois. Elle a recueilli le soutien financier, logistique, matériel d’une vingtaine d’associations, de congrégations religieuses, de la Croix rouge, d’entreprises et du siège des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Hauts de France.

Résistances

Le voyage se déroule sans encombres, mais sur la route entre Kiev et Lviv, près de Jitomyr, les carcasses de nombreux bâtiments témoignent de l’ampleur des frappes de missiles russes. De même, nombre des villes que nous traversons ont été touchées à plusieurs reprises par des bombardements. C’est le cas de Ternopil, Khmelnytskyï ou Vinnytsia

A Ouman, l’inquiétude est palpable à l’approche du premier anniversaire du conflit. Sans pour autant entamer l’extraordinaire résilience des Ukrainiens. Chaque voyage est un crève-coeur et une source d’émerveillement.

Des ouvriers travaillent nuit et jour, 7 jours/7, pour achever l’aménagement d’abris anti-aériens sous les écoles. Les enfants y descendent chaque fois que retentit le son lugubre des sirènes d’alarme. De temps à autres, les bombardements visent des infrastructures électriques proches, mais le plus souvent, il s’agit de fausses alertes.

Les réfugiés les plus vaillants habitent en ville.

A dix kilomètres du centre, perdus au bout d’un chemin de terre séparant de vastes labours enneigés, des immeubles en briques orangées de deux étages et une caserne désaffectée sont en cours d’aménagement, en vue d’accueillir 600 réfugiés. La plupart sont des personnes âgées vulnérables, parfois handicapées, évacuées des localités proches du front, comme Bakhmout, Avdeevka, Svatovo ou Liman. On y rencontre des babouchkas prostrées, le regard vide, assises sur une chaise ou alitées dans une chambrée. « Nous allons les chercher avec un minibus et nous les ramenons ici », explique Galina Koutcher, une responsable de l’aide sociale.

Chaque rencontre illustre l’ampleur de la résistance.

A la frontière polonaise, des centaines de camions continuent de patienter, parfois plus d’une semaine, pour entrer ou sortir du pays en guerre. Devant le guichet de la douane, Anton raconte sa dernière navette. Il a conduit à Kiev un orthopédiste canadien transportant une imprimante 3 D. Elle permet de réaliser des prothèses des membres supérieurs à 70 dollars pièce, un montant auquel il convient d’ajouter 1.200 dollars pour les capteurs qui autorisent la mobilité. Dans la galerie photo de son portable, un gamin tout sourire exhibe son nouveau bras articulé.

A Kiev, Sergey, 24 ans, blessé par des éclats d’obus donne à voir une vidéo sur son portable. Il dit que la moitié des effectifs de son unité -y compris son meilleur ami- sont morts au combat à Bakhmout. Là où « le hachoir à viande tourne à plein» selon l’expression d’Evgueni Prigojine, le patron de la milice russe Wagner.  Tout au long de notre trajet de 1.500 kilomètres à l’intérieur de l’Ukraine, nous avons pu observer les drapeaux  bleu et jaune qui flottent dans des cimetières, signalant la dernière demeure d’un «héros».

Il n’est pas rare de croiser des convois de véhicules blindés ou de poids-lourds dont la plaque d’immatriculation a été masquée. Précédés de voitures de police équipées de gyrophare, ils transportent selon toute vraisemblance de l’aide militaire.

A Ouman, Tanila a accueilli jusqu’à un millier de réfugiés dans l’école qu’elle dirige, au tout début de la guerre. Elle évoque les problèmes psychologiques des enfants, et tout particulièrement ceux qui ont vécu les bombardements terrés dans des abris. « Ils n’aiment pas être dans le noir, ils ont peur» dit-elle en saluant l’arrivée de nos générateurs. Sa détermination impressionne. Elle avoue cependant s’être parfois cachée dans un bois derrière son domicile pour hurler sa détresse, évacuer les larmes.

Vadim évoque les files d’attente qui se forment et enflent, nerveuses, devant les groupes électrogènes, quand les bombardements russes privent la ville de courant. Certains des exilés de l’intérieur transportent dans un sac plastique une dizaine de portables à recharger, confiés par des amis ou voisins, dans l’espoir de maintenir un lien avec le monde extérieur.

Le jour de notre arrivée, Alexandre, chirurgien et médecin-chef de l’hôpital, a réalisé pas moins de treize opérations, dont l’amputation du pied d’un jeune combattant.

Quinze autres sont programmées pour le lendemain. Par la porte entrouverte des chambres, on entrevoit de nombreux soldats. Il recense le matériel qui lui fait défaut. Dans le registre des équipements lourds, il a besoin de lampes chirurgicales scialytiques, de tables opératoires, de stérilisateurs…. Dans les couloirs déambulent deux  angelottes aux ailes blanches déployées. La vision est surréaliste. Ce sont deux jeunes visiteuses médicales censées apaiser les maux ambiants. En Ukraine chacun est appelé à contribuer à sa façon à la résistance.

DH