Notre cinquième mission -menée du 15 au 22 juin- a été de loin la plus efficiente. Elle a mobilisé 6 fourgons, 12 chauffeurs et une interprète. Et a permis de livrer environ 7 tonnes d’aide humanitaire à Ouman.

L’opération désormais bien rodée s’inscrivait dans une nouvelle saison de la guerre, avec en toile de fond une contre-offensive

ukrainienne attendue de longue date dans l’est et le sud-est du pays. Dans un premier temps, Kiev annonçait des avancées modestes dans les régions de Donetsk, de Bakhmout ou de Zaporijia.

A Ouman, ville de l’arrière, on ne pouvait qu’être frappé par l’inébranlable résilience. Seize mois après le début de l’invasion russe, nos interlocuteurs affichaient leur absolue certitude quant à la victoire finale. Mais très peu misaient sur une fin rapide du cauchemar.

Ouman est située à quelque 200 kilomètres à vol d’oiseau des premières zones de combats. A première vue, une certaine normalité semble prévaloir. Les rues sont animées à l’heure du marché local. Quelques rares familles déambulent dans les allées ombragées du parc botanique Sofiyivsky, considéré comme l’une des sept merveilles d’Ukraine. Et le couvre-feu a été repoussé à minuit.

Des apparences trompeuses.

Cependant, ici comme ailleurs, on continue d’aménager en toute hâte des abris anti-bombes sous les écoles et des lieux d’accueil pour les milliers de réfugiés; à multiplier les réseaux d’entre-aide et à échafauder des plans B, au cas où l’électricité, l’eau, le chauffage viendraient de nouveau à manquer. Le plus souvent, le hurlement lugubre des sirènes d’alarme signale le survol de la ville par des missiles en route vers d’autres cibles, plus au nord, en direction de Kiev, ou plus à l’ouest, vers Lviv. A trois reprises toutefois, en avril et mai, Ouman a été directement frappée.

Tel est le sombre contexte dans lequel nous avons battu notre record d’assistance. Pas de quoi pavoiser eu égard à l’ampleur des dommages et des besoins incommensurables du pays. Reste que, porté par un élan de solidarité qui ne se dément pas et une petite armée pacifistes de bénévoles du nord au sud, SOS-Ouman a été en mesure d’apporter un modeste réconfort aux victimes de ce conflit d’un autre âge.

Pour mémoire, nos deux premières expéditions avaient été menées au volant d’un seul fourgon. A l’automne dernier, nous sommes passés à deux grâce au renfort de Romilly-sur-Seine, jumelée avec Ouman, puis à cinq en février dernier.

 

Cette fois, trois fourgons archi-pleins chargés au nord de la Loire (à Paris, Lille et Romilly) et trois autres venus du sud (de Rognes et du pays d’Aix ainsi que d’Aups et du pays Varois) ont pris la route. Ils ont opéré leur jonction à Jaroslaw, une localité de la voïvodie des basses Carpates polonaises, à proximité de la frontière ukrainienne.

Le surlendemain, le convoi déchargeait sa cargaison à Ouman: quelque 300 cartons de médicaments, un précieux matériel de premier secours, quantité de pansements et de compresses, des centaines de poches de transfusion, une table opératoire et son extension orthopédique, une lampe scialytique, un défibrillateur… A cela s’ajoutaient notamment une trentaine de fauteuils roulants, des fagots de béquilles, des tables et des chaises destinées aux bunkers sous les écoles, des projecteurs multi-médias, une machine à laver… et des croquettes.

Cette dernière demande émanait des réfugiés de l’intérieur, qui ont tout

abandonné dans leur fuite hormis leur animal de compagnie. Elle provenait par ailleurs d’associations venus au secours des chiens et des chats réchappés de la noyade, après la gigantesque inondation provoquée par le sabotage du barrage de Nova Kakhovka, le 6 juin sur le cours du Dniepr.

Une guerre à la fois proche et lointaine

Les témoignages de nos correspondants et désormais amis d’Ouman sont plus éloquents que tous les discours pour illustrer la situation locale. Ils se battent au quotidien dans le but de maintenir une vie la moins anormale possible. Mais l’indicible parfois les rattrape.

Iryna, la maire de la ville, organise avec une énergie qui force l’admiration la mobilisation tous azimuts en vue de soulager ses administrés. Elle a personnellement participé à la livraison d’aide à proximité de la ligne de front. Elle supervise l’accueil des déplacés et des sans-abris, la fourniture (parfois sporadique) d’électricité ou encore la distribution de biens essentiels. Régulièrement, elle assiste debout au premier rang, aux obsèques de héros tombés au champ d’honneur.   

Cependant, notre édile fait preuve de réalisme. «On doit se préparer à un autre hiver difficile », lâche-t-elle. La liste de ses commandes en prévision de notre prochain voyage est éloquente. Elle comporte en priorité des garrots, des pansements hémostatiques, ainsi que des vivres en faveur des retraités, particulièrement affectés par l’inflation. Bien d’autres demandes seront relayées à nos partenaires (à commencer par les infirmiers et professionnels de santé) mais aussi -et c’est nouveau- aux sapeurs pompiers français sollicités par leurs homologues ukrainiens.   

Alexandre, médecin-chef et depuis peu directeur de l’hôpital central appartient à cette catégorie de braves qui jamais ne se plaignent ni ne se pavanent. Son teint blafard et ses traits tirés trahissent le caractère harassant de sa tâche. Il opère 7 jours sur 7, pratique d’innombrables amputations. La façon dont son regard s’éclaire à réception de notre table opératoire vaut tous les satisfécits. Alexandre est économe de ses paroles, mais sur son téléphone, il nous montre les terribles blessures provoquées par des shrapnels, tandis que passe sous nos yeux une patiente dont il a sauvé la vie mais pas la jambe. Elle promenait son chien le mauvais jour au mauvais endroit, à proximité d’une station service atteinte de plein fouet par une frappe russe.

Sachaet son frère d’armes se présentent comme les rares rescapés de leur unité engagée dans l’enfer de Bakhmout. Une localité minière du Donbass théâtre d’une hécatombe de huit mois malgré son intérêt stratégique contestable. Ils apparaissent ravagés, les yeux hagards. Sacha se confond en remerciements et en sanglots après avoir reçu une paire de nos béquilles. Touché à l’épaule, il a tour à tour fait un infarctus puis un AVC avant d’être déclaré inapte. Son copain peine à garder l’équilibre et grimace de douleur. A l’entendre, il retournera en première ligne aussitôt que possible. Le blason sur son treillis atteste de son appartenance à la 30ème brigade mécanisée engagée dans les batailles les plus féroces. Sa devise: DEI GRATIA (à la grâce de Dieu)!

Olga, ex-pharmacienne et mère de deux jeunes adolescentes, se trouve désormais chargée de la sécurité et des secours pour le compte de la mairie. Elle a été parmi les premières à pied d’oeuvre quand un missile de croisière Kalibr a éventré un immeuble de neuf étages, dans un lotissement populaire d’Ouman, le 28 avril dernier. Vingt-quatre personnes, dont six enfants, ont été tuées dans leur sommeil. Au pied du bâtiment partiellement calciné, Olga raconte l’horreur en termes volontairement crus. Les cercueils quasi vides du fait du démembrement des victimes. Une fillette volatilisée. Elle dit aussi l’utilité des générateurs, des couvertures et des des habits que nous avions fournis lors de notre précédent voyage. Au pied de petits autels improvisés, des centaines de peluches ont été déposées à même le sol. Au 6eme étage, un homme fume dans ce qui devait être son appartement, devant ce qui devait être sa fenêtre

Vadim, le mari d’Olga, également pharmacien, joue un rôle essentiel de fixeur, assurant aussi bien distribution de l’aide que l’exfiltration par des volontaires des habitants les plus exposés aux bombardements à plusieurs centaines de kilomètres à la ronde. Sur son cellulaire, il montre le cliché d’une voiture polonaise rouge grossièrement repeinte en noir « parce que c’est moins visible ». L’espérance de vie de ces véhicules qui s’aventurent dans les zones les plus dangereuses va de quelques jours à quelques semaines, précise-t-il sans évoquer le sort des occupants.

Tamila et Tatiana, directrices d’école, ont à coeur de souligner que les abris obligatoires sous chaque établissement scolaire accueillent désormais aussi des centaines de parents et voisins, en cas d’alerte. Nous leur livrons directement en mains propres les cartons qui leur sont destinés.

Dans l’école numéro 14, Tatiana nous guide à travers un dédale de salles de classes souterraines aménagées pour se protéger des bombardements russes. Ironie du sort, la plus spacieuse d’entre elles abritait un stand de tir, au temps où l’Ukraine appartenait à l’URSS.

Au deuxième étage, une pièce est dédiée aux cours d’instruction civique et de sécurité. Dans des vitrines sont notamment exposés un ballon, un nounours, des figurines en plastique, un dessin de machine à laver renfermant une grenade: autant de jouets et d’objetssusceptibles d’avoir été transformés par l’ennemi en pièges mortels. Aux murs, des affiches mettent en garde les écoliers contre les munitions non-explosées. Les élèves de 14 à 16 ans parachèvent leur apprentissage avec des séances pratiques de tir.

Notre équipe composite était constitué d’anciens journalistes, d’un médecin un géologue un informaticien et un cheminot à la retraite, un infirmier et un  pompier volontaire en activité. Lors du banquet désormais rituel organisé en notre honneur, on trinque au cognac géorgien et au vin rouge arménien pour célébrer nos relations d’amitié qui ne sont pas de vains mots. Olga, une traductrice du cru, cède à l’emphase: « Il y a des Hommes avec un grand H, hélas pas très jeunes et qui ont mal au dos, aux jambes…  Je les vois ici à table. Hélas, il y a aussi Poutine à Moscou ».

L’intention est aimable, mais à n’en pas douter, à Ouman, les seuls véritables héros ont pour noms Irynia, Olga, Alexandre, Vadim, Tamila et tant d’autres qui méritent amplement notre aide. Votre aide.

A suivre…..

 

DH