Le trajet s’est trouvé compliqué en fin de parcours par les premières chutes de neige, accompagnées de températures négatives. La nouveauté est que nous étions cette fois accompagnés d’un second fourgon, affrété par la Croix Rouge et la ville de Romilly-sur-Seine, jumelée avec Ouman.
La cargaison comportait des centaines de boîtes de médicaments (y compris de l’Ibuprofène, Doliprane, Fervex, Dafalgan et de nombreux cartons remplis d’aliments caloriques pour affronter l’hiver ainsi que des jouets en prévision de Noël. Le tout complété par des boîtes d’aliments pour chiens et pour chats offerts en réponse à la demande expresse des plus âgés . Ceux là mêmes qui refusent de quitter leurs maisons et leurs animaux de compagnie, malgré les bombes, les privations et le froid, en faisant valoir qu’ils ont toujours vécu là, et n’ont nulle part où aller.
Nos trois navettes -en avril, août et novembre- ont correspondu à trois phases du conflit. Nous pouvons témoigner que l’évolution de la situation militaire ne fait qu’accentuer les besoins d’ordre humanitaire.
A l’automne, les Ukrainiens ont reconquis quelque 10.000 km2 de terrain. Fin novembre, quand nous avons de nouveau franchi la frontière à Oujhorod, des combats meurtriers se poursuivaient dans les territoires autour de Donetsk, Louhansk, Kharkiv, Zaporijia. La capitale régionale stratégique de Kherson, abandonnée par les Russes le 11 novembre, était soumise à d’intenses pilonnages, à titre de représailles.
La principale évolution tient à la nouvelle stratégie décidée par Vladimir Poutine. En ce début d’hiver maudit, l’armée russe frappe systématiquement les infrastructures énergétiques, dans le but de paralyser le pays et de briser la résistance des civils privés de chauffage, d’électricité, de soins, alors que s’installent les grands froids.
A Kiev, les dirigeants ne manquent pas de rappeler un précédent remontant à l’ère soviétique. Il y a 90 ans très exactement débutait l’Holodomor, un terme qui désigne la grande famine provoquée par la collectivisation forcée des terres sous Staline, responsable de plus de 3 millions de morts.
A Ouman, Olga illustre la formidable résilience de ses compatriotes en citant la dernière galéjade politique en date, qui court de bouche en bouche: «L’électricité? On peut sans passer. Le gaz? On peut aussi s’en passer. Pareil pour le chauffage et l’eau. Mais par dessus tout, c’est des Russes dont on veut se passer».
En cette fin d’année, le nombre des réfugiés dont elle a la charge est passé à 17.000. Il s’agit en majorité de femmes, d’enfants et de vieillards qui représentent un surcroit de population d’environ 18%. Arrivés le plus souvent sans rien, ils doivent être logés, nourris, soignés.
Des abris anti-aériens ont été aménagés sous chaque école. La semaine précédant notre venue, des enfants sont restés claquemurés sous terre pendant cinq longues heures, avant la levée d’une alerte. Olga, qui est mère de deux fillettes, a la gorge nouée quand elle mentionne l’obligation faite aux parents de doter au quotidiens les écoliers d’un sac d’urgence. Il doit impérativement contenir un vêtement chaud, de quoi grignoter, une lampe de poche et un extrait de naissance qui permettra de les identifier, en cas de malheur.
Le lundi est désormais considéré comme « le jour des missiles », parce qu’ils sont généralement plus nombreux par rapport au reste de la semaine. A Ouman, le mugissement quasi quotidien des sirènes signale le plus souvent leur survol vers des cibles lointaines. L’un d’entre eux a cependant sérieusement endommagé fin novembre une centrale électrique toute proche, avec pour conséquence des délestages plus fréquents dans la journée, et un black-out nocturne.
Dans un centre social de quartier, les exilés défilent pour retirer des cartons. Ils contiennent des conserves et autres aliments. De quoi passer la semaine.
Dans un couloir, des enfants s’initient aux dangers de la guerre par le biais de coloriages. Ils crayonnent des munitions inexplosées, des panneaux signalant les abris…
Un quadragénaire qui a fui Kramatorsk, dans le Donbass, explique: «Quand elle ne vous tue pas, la guerre vous contraint à une autre vie ». Il parle d’expérience: hier avocat, il est aujourd’hui manoeuvre sur les chantiers.
SOS Ouman, reconnue d’utilité publique, peut désormais délivrer des rescrits fiscaux. Les dons donnent droit à une réduction d’impôt à hauteur de 66 % de leur montant.
DH